Musique mouvement

L’activité artistique, en certains cas, a un pouvoir exorbitant, celui de
bouleverser le rapport à soi et au monde. Que le mouvement en soit le
dépositaire, qu’il puisse œuvrer d’une manière invisible, et que sa force
opératoire puisse rejaillir sur l’ensemble de la vie en ce qu’elle a de plus
profond et d’inassignable, telle est la conception qu’élabore cet essai. Mais
c’est alors en un sens qui s’est démarqué de toute idée de déplacement. La
musique seule peut en donner la clé ; saisie fondamentalement comme rythme
vécu qui initie un mouvement irréductible à tout autre. À partir d’une lecture
des Formes du spatial d’Erwin Straus (1891-1975) en vis-à-vis des Espaces
Rythmiques d’Adolphe Appia (1862-1928), dessins réalisés pour Émile Jaques-
Dalcroze dans les années 1910, la réflexion s’efforce de cerner la teneur de
ce mouvement invisible, étroitement lié à la musique, qui est le mouvement
même de l’âme. C’est à la saisie d’un tel espace que la perspicacité du
psychologue Erwin Straus, fort de son intérêt pour l’entreprise
phénoménologique, nous convie à travers son idée d’un « espace acoustique » ;
quant au metteur en scène Adolphe Appia, c’est dans sa quête d’un art à venir,
un art vivant, qu’il s’en approche. Erwin Straus était un américain d'origine
allemande phénoménologue et neurologue. Il est à l’origine d’une réflexion
philosophique qui fit fructifier les acquis de la psychanalyse et de la
phénoménologie au regard des œuvres d’art contemporaines. Henry Maldiney
(1912) en est l’un des plus fameux héritiers. Adolphe Appia est l’inventeur de
la scénographie, c’est-à-dire d’une mise en scène qui n’est plus exclusivement
la servante de l’œuvre « représentée » mais qui vaut pour ses propres moyens
expressifs, découvrant ainsi des horizons entièrement nouveaux. En ce sens il
est l’un des pères du grand bouleversement esthétique des arts de la scène qui
eut lieu au début du XXe siècle. Anne Boissière enseigne la philosophie de
l’art et l’esthétique à l’université de Lille 3. Elle est l’auteur de La
pensée musicale de Theodor W. Adorno, Le geste et l’épique, Paris, Beauchesne,
2011.