Les raisons de la défiance

Extrait de l'introduction « La crise sanitaire de la Covid-19 a généré des
effets politiques inattendus. Elle ne s’est pas traduite par une remise en
cause générale du régime politique, elle n’a pas permis aux Gilets jaunes de
reprendre le cours de leur contestation, elle n’a pas produit un
bouleversement du clivage droite – gauche […] En revanche, elle a mis à
l’épreuve le modèle sociopolitique français. Sous bien des aspects, la crise
de la Covid-19 évoque le contrecoup de la défaite de 1940. Elle a servi de
révélateur en montrant que les Français vivaient depuis longtemps avec
l’illusion d’avoir l’un des meilleurs États du monde, centralisé, certes, mais
efficace en période de crise grave, d’avoir un système hospitalier hors du
commun qui permettait à tous de bénéficier des meilleurs traitements dans les
meilleures conditions, de disposer d’élites particulièrement performantes et
bien formées, sachant prendre des décisions rapidement et les justifier
clairement dans la ligne de la tradition gaullienne. Bien plus, elle a renvoyé
aux Français l’image de leur propre société, faisant apparaître des
comportements assez peu civiques, faiblement solidaires, enkystés dans des
habitudes de confort et de consumérisme, chez celles et ceux qui pleuraient la
fermeture des théâtres et des librairies mais qui étaient trop heureux de voir
que les petites mains des services publics ou les “invisibles” des métiers du
commerce s’occupaient de soigner les plus faibles ou de faire tourner
l’économie au quotidien en prenant beaucoup de risques. » Luc Rouban est
directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po
(Cevipof). Il travaille sur les élites, les évolutions de l'État et de la
démocratie. Il a publié en 2018 Le Paradoxe du macronisme et, en 2019, La
Matière noire de la démocratie (Presses de Sciences Po) et, en 2020, Quel
avenir pour les maires ? (Paris, La Documentation française).